In etxremis, j'ai pu voir l'exposition « Les Insoumis de l'art moderne » au tout nouveau musée Mendjisky, discrètement situé juste à côté de la station Vaugirard.
Cette exposition était consacrée à un pan méconnu de
notre histoire de l'art : la seconde "École de Paris". Cette période, située au tournant des années 50, a connu une existence fugace (une dizaine d'années,
rythmée par un annuel « Salon de la jeune peinture ») mais foisonnante (plus de mille peintres s'en réclament) et de rayonnement international, avant
que New-York ne prenne définitivement le pas. Sous le nom un peu grandiloquent d'"Insoumis de l'art moderne", comprenez donc ceux qui, résistant à l'engouement pour l'abstrait, ont persévéré dans la voie du figuratif,
tentant de le réinventer dans le sein doux-amer de l'immédiat après-guerre.
C'était une belle exposition, d'une soixantaine de toiles,
dont un certain nombre d’œuvres très puissantes, qui valaient à elles seules
le déplacement.
Beaucoup de tableaux issus de collections particulières,
introuvables sur la toile...
Les reflets des éclairages mal placés (murs hauts, grands tableaux : difficile...) étaient bien souvent épouvantables: pardon pour la piètre qualité de certaines photos.
C'est le Portrait de Claude, sur les affiches, qui m'avait
donné envie d'aller voir l'expo. Le musée était
presque vide, il y a avait des chaises : j'ai pu m'abîmer un bon quart
d'heure dans ce regard incroyable, qui me semble mêler la présence d'une colère
dure, et une douce absence mélancolique. Chef-d'oeuvre d'un peintre dont je découvrais le nom : Cara-Costea (1925-2006).
- La toile fait peut-être référence, par sa composition, à L'Homme au gant du Titien. -
Deuxième grand choc : la peinture de François Heaulmé, son traitement de la vieillesse (un thème qui m'est particulièrement sensible), m'ont beaucoup émue ; que ce soit à travers deux
« vieilles », dont les traits se dissolvent déjà dans une sorte de
nébuleuse, rendant d'autant plus poignants leurs regards d'enfants ; ou à travers la scène biblique des vieillards concupiscents envers la jeune fille aux doux yeux tombants.
Les Deux Vieilles
Suzanne et les deux vieillards
[Pour une intéressante comparaison, voir la Suzanne et les deux vieillards de Stanzione (1630), dans cet article.]
D'autres toiles sur son site : http://www.heaulme.com/peinturesa.html
Après ces deux événements, je n'étais pas au bout de mes émotions, loin de là. Une bonne dizaine d'autres toiles ont retenu toute mon attention. Tous les peintres m'étaient inconnus, et cela ne fait que renforcer ma joie d'être venue jusqu'à cette exposition discrète et puissante.
Le peintre Claude Pollet, son art du dessin, sa touche, ses couleurs :
Femme entrant dans l'eau
Ce tableau tout de clair-obscur et de pudeur, pour l'anecdote, était accroché dans la chambre de Yul Brynner.
:-D
Son épouse Françoise Sors a notamment réalisé cette magnifique vue des Toits de Paris :
Paul Rebeyrolle occupait en 1944 l'atelier de Soutine... Je ne pouvais qu'être séduite par la finesse du trait, expressif sans lourdeur, l'humanité, la douceur des teintes.
La Chienne endormie
Paysage d'Eymoutiers
(et plus précisément la fameuse grange Planche-Mouton, où les peintres de la Ruche peignirent de nombreuses toiles)
Autour de lui se constitue peu à peu un groupe composé, entre autres, de Simone Dat, qu'il épouse en 1949, et visiblement influencée par Soutine :
Paysan au marché
Le Café (détail)
Toute cette âpre humanité se trouve de temps à autres adoucie par des toiles comme cette Nature morte au bougeoir (détail) de Bellias, l'une des seules aux couleurs vives :
Le parcours se termine sur cette toile de Françoise Adnet (pianiste de formation), Jeune Fille à l'orange, qui semble porter le deuil d'une enfance encore vivace dans le fruit lumineux qui contraste avec la peau verdâtre :
Autre "détail" très fort, dont je n'ai ni noté ni retrouvé la référence :
Dans l'une des premières salles, un tableau gigantesque (260x 350) aux couleurs criardes détone : La Peste en Beauce, de Bernard Lorjou (1908-1986), le porte-voix du mouvement "L'Homme témoin de son temps", et le plus farouchement opposé à l'art abstrait, qu'il a qualifié de "dégénéré" dans une lettre ouverte au président de la République... hum.
Ironie du sort, certaines de ses oeuvres sont exposées au musée Pompidou, qu'il avait en horreur.
La toile, gigantesque, impressionne par son "expressionnisme baroque". La salle offrait le recul nécessaire pour se plonger dans ce cataclysme saturé qui envahit la toile par la gauche, tandis que l'enfant, au centre, étrangement serein et beau, nous promet un avenir meilleur.
Anecdote : le tableau était initialement intitulé La Guerre bactériologique ; il a changé de nom sous la pression de l'ambassade américaine avant d'être exposé à la Galerie Charpentier. Guerre froide, quand tu nous tiens...
Enfin, grâce à Costa-Carea et à Heaulmé, je suis repartie époustouflée, et heureuse d'avoir découvert ce joli musée vitré où je retournerai.
Enfin, grâce à Costa-Carea et à Heaulmé, je suis repartie époustouflée, et heureuse d'avoir découvert ce joli musée vitré où je retournerai.
2 commentaires:
Oh, comme c'est triste... Je viens de découvrir que le musée est définitivement fermé depuis le début de l'année : "Deux petites années et puis s'en va. Plombé par l'absence de subventions et la baisse de la fréquentation consécutive à la vague d'attentats, aux grèves, aux inondations, ce joli petit musée privé parisien ne verra pas 2017… En guise de cadeau de départ, une exposition consacrée aux "Insoumis de l'art moderne"" (Télérama) Un musée trop discret et pas assez médiatisé... Merci en tout cas pour le compte-rendu de l'expo, avec des tableaux très prenants
Ça alors, j'ai discuté 20 minutes avec la dame qui tenait la caisse, elle n'en a pas parlé du tout ; pourtant je lui ai dit que je reviendrais ! Et la campagne de promo pour la dernière expo était très présente... Le chant du cygne ?
Quel dommage, en tout cas. Je suis contente d'avoir vu les dessins de Mendjisky sur le ghetto de Varsovie : qui sait maintenant quand et où ils pourront être exposés...
Merci pour ton commentaire et pour l'information. Je pense que le musée était aussi victime de sa confidentialité et de sa localisation.
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