lundi 18 mars 2019

Egon Schiele, face à face

Suite à l'exposition de la fondation Louis Vuitton (une chance car de nombreuses œuvres provenaient de collections privées) pour le centenaire de la mort de l'artiste, je vous propose une sélection subjective de toiles et de dessins, agrémentée de citations (issues le plus souvent de ses correspondances).

Le travail d'Egon Schiele, à mes yeux, c'est...

L'assurance des lignes discontinues, des repentirs qui n'en sont plus
Pas la moindre condescendance envers les femmes, auxquelles il restitue toute leur puissance, sexuelle et psychique
Bien des regards indélébiles
Une morbidité pleine d'énergie, et des accès de douceur
Des obsessions adolescentes assumées, mâtinées de conscience sociale
La force et la grâce des distorsions
Le relief des couleurs qui donnent forme


"A Vienne, tout n'est qu'ombre, la ville est noire, tout obéit aux règles. Je veux être seul. Je brûle d'envie d'aller dans la forêt de Bohême. Mai, juin, juillet, août, septembre : il faut absolument que je voie quelque chose de nouveau, que je l'explore ; je veux déguster les eaux sombres, voir craquer des arbres, des airs sauvages, regarder ébahi des haies de jardin pourrissantes, y surprendre le foisonnement de la vie."
Lettre à Anton Peschka, mai 1910


"Je suis un être humain, j'aime la mort et j'aime la vie." (1910) 

Egon Schiele est mort en 1918, à l'âge de 28 ans, de la grippe espagnole, quelques jours après son épouse.

L'année précédente, il écrivait à Anton Peschka : "Je veux tout recommencer à zéro. Il me semble que jusqu'ici je n'ai fait que fourbir mes armes."
Que de regrets peut susciter pour nous cette phrase... Heureusement, il nous laisse déjà matière à voir! 


J'en viens à mes préférées.
Le dessin

Le trait si caractéristique d'Egon est tout en paradoxe : sûr jusqu'à l'arrogance dans son tremblé-même, sa discontinuité.

"d'aucuns croient à tort que mes dessins sont des œuvres achevées"
Lettre à un collectionneur, 1917

Femme assise, 1916
Autoportrait en uniforme, 1916
"L'uniforme" n'est pas dessiné : c'est dans le visage durci qu'on le trouve...

Autoportrait, 1913
J'aime cet œil, son architecture si présente qu'on l'oublie, finalement, et cette brillance un peu morne, cette curiosité en veille que j'y sens.

La couleur

"je sais qu'il est possible de créer des qualités intrinsèques avec les couleurs"
Lettre à Franz Hauer, août 1912

Femme agenouillée à la robe rouge orangé,1910
Jeune fille en bleu, 1910

En 1910, Egon Schiele n'a que 20 ans... Je suis époustouflée qu'il se soit si vite détaché de l'influence de Klimt pour aller vers un univers plus personnel, plus tourmenté, novateur et selon moi plus vivant.

La posture et l'habit : couleurs, lignes

"Je songe au mariage des couleurs les plus chaudes, qui coulent, débordent, se cassent, font saillie, à la terre de Sienne appliquée irrégulièrement sur des verts ou des gris, avec à proximité une étoile d'un azur froid, blanche, ou d'un bleu virant au blanc."
Lettre à Oskar Reichel, 20 juin 1911

Jeune garçon debout, en chemise à rayures, 1910
Jeune garçon en manteau vert, 1910
Portrait d'un jeune garçon, 1910
Garçon recroquevillé (Paul Erdmann), 1915
Deux femmes debout, 1913
Autoportrait en gilet, le coude droit levé, 1914

"Je luttais, me contorsionnant, et entendais les eaux en moi, les bonnes, belles eaux noirâtres.
Puis l'or pur de l'énergie me rendit courage et force. 
Le courant fusait, impassible et toujours plus violent." 
Musique pour une noyade, 1910


Visages de femmes

Douces, mélancoliques ou provocantes, nues ou habillées, les femmes de Schiele sont restituées avec beaucoup de respect, comme un autre qui reste étranger, voire hermétique, mais jamais menaçant ni dégradé.

Femme couchée sur un coussin bleu, les bras relevés derrière la tête (Wally Neuzil), 1913
Nu féminin debout au tissu bleu, 1914
Portrait de la femme de l'artiste assise, tenant son pied droit, 1917

Couple et maternité : un peu plus de sérénité

 Couple d'amants, 1913
Les rousseurs de ce couple groggy, le bazar des corps qui mue en chaîne montagneuse... J'affectionne tout particulièrement cette toile.

Mère et enfant, 1917

 Merci, Egon.

Autoportrait, 1914

"Jusqu'à présent, je n'ai rien fait d'autre que de donner, et m'en trouve si enrichi que je suis obligé de continuer à faire don de moi-même."

Lettre à Léopold Czihaczek, 1er septembre 1911

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