lundi 4 août 2014

Le Riche rêve de Notre-Dame

Début juillet, j'ai réalisé un rêve, in extremis.

Comme j'avais déjà fait un long post ici, je ne peux que répéter que je suis une grande amoureuse de Nicolas Le Riche, de son mélange de puissance brute et de finesse ciselée, le tout lié par des gestes et un jeu empreints de naturel et de spontanéité.
Or, il prenait sa "retraite" (42 ans pour l'Opéra de Paris) le 9 juillet dernier. 
Bien sûr, il va continuer à danser, à chorégraphier, mais la fin de sa carrière à l'Opéra, avec lequel il a réalisé tant de choses, promettait d'être émouvante, et surtout, je ne l'avais jamais vu sur scène, ô rage, ô désespoir. J'ai donc demandé une place pour mon anniversaire, après avoir assez longuement hésité : le dernier ballet dont il assurait la représentation, ou sa soirée d'adieu spéciale ? Le dernier ballet, c'était quand même Notre-Dame de Paris, et en vidéo, son jeu de Quasimodo me bouleversait déjà. J'ai donc opté pour cela, même si j'aurais beaucoup aimé vivre l'ambiance de la dernière soirée, la venue de nombreux amis comme M... Oui, Nicolas Le Riche (et le bien nommé si l'on parle des richesses immatérielles) est un grand danseur, mais aussi un homme aussi beau à l'intérieur qu'à l'extérieur, comme l'a si bien exprimé Guillaume Gallienne dans son discours-hommage :

Bonsoir Eve et Tess et bonsoir Clairemarie.
Bonsoir à tous, enfin bonsoir la Compagnie.
Avant que d'enchaîner avec Caligula,
Laisser-moi vous parler un peu de Nicolas,
Si riche de talents que c'est son patronyme,
Et si tous ses aïeux sont restés anonymes,
(Et j'en profite ici pour saluer ses vieux
Qui sans doute ont tous deux des larmes plein les yeux)
C'est pour que brille mieux cette étoile si rare,
Dont nous fêtons ce soir un tout nouveau départ,
Que nous lui souhaitons aussi beau, aussi dense,
Que celui qui lui fit se lancer dans la danse,
Il y a déjà trente quatre ans de cela.
Sa richesse pour moi se situe au-delà
De son nom c'est certain, mais même de son charme ;
Elle provient surtout de son art qui désarme,
Tellement il paraît naturel, comme un don
Du Seigneur et que lui dans un fol abandon,
Dépasse chaque soir humblement, avec grâce,
Pour nous faire voler dans ces airs qu'il embrasse.
Avez-vous remarquez la finesse des doigts ?
Et sa délicatesse alternée quelque fois,
Par une unique rage , une sauvagerie
Terrible ? Puis d'un coup, avec espièglerie,
 Il s'adoucit. Soudain, nous voyons cet enfant
Qu'il est souvent encore à quarante deux ans.
Il bondit comme un tigre et vole comme un ange,
Il atterrit en chat et telle une mésange,
Virevolte aussitôt sans même se soucier
De savoir si nous autres avons pu respirer.
J'ai vécu grâce à lui mes plus longues apnées,
Et n'oublierais jamais ces acmés insensées
Que dans tous ces ballets il a su nous donner.
Mais ce n'est pas fini, tout ca va continuer...
Ce n'sont pas des adieux, non, ce n'est qu'un passage.
Ton génie Nicolas est plus grand que ton âge,
Et puisque cet endroit te déclare trop vieux,
Pour continuer ici tes grands sauts périlleux,
Eh bien tu les feras ailleurs, sur d'autres scènes.
Tu auras pour créer le soutien des mécènes
Ou celui de l'Etat, ce serait pas mal çà...
Que tu puisses transmettre. Enfin, c'est pas tout ça
Mais j'entends en coulisses un cheval qui trépigne,
Et n'ayant pu trouvé de belle rime en igne,
Avant que ce canasson me dise allez oust,
Je m'en vais pour conclure citer Marcel Proust.
Il dit, pour définir un autre immense artiste,
Ce qu'à mon tour je puis dire de ce soliste,
Qui est mon ami. En toute simplicité,
Il l'appelle « Novateur à perpétuité ».

C'est vrai, j'aurais aimé le voir dans Le jeune homme et la mort, ajouter le modeste clap clap de mes mains au triomphe que vous pouvez visionner ici

Mais je ne regrette pas mon choix. Et pourtant, j'avais pris un gros risque. En effet, les distributions ne sont connues que peu de temps à l'avance, et il y en a plusieurs. Aussi ai-je dû attendre, afin de ne pas prendre une place qui m'aurait donné à voir un autre danseur, certes excellent, mais qui n'était pas le bon pour cette fois. J'ai donc dû attendre une semaine avant les dates où je devais me rendre à Paris pour savoir quel soir réserver, et bien sûr c'était complet, comme je m'y attendais. Je me suis donc jetée sur la bourse officielle des billets de l'Opéra (accessible via le site de l'Opéra mais aussi celui de Zepass), et là, miracle, une place pour le bon soir, et dans la bonne catégorie. J'étais on ne peut mieux placée, au beau milieu et assez à l'avant du premier balcon de l'Opéra Bastille (dans lequel je n'étais jamais entrée : une très belle salle).

J'ai donc pu réaliser en dimensions réelles à quel point la scénographie de ce ballet est grandiose et envoûtante : décors (René Allio) et costumes (Yves Saint Laurent), plutôt que d'imiter l'époque, en évoquent l'esprit à la fois austère et chaotique, entre le vitrail à la mode pop et les lignes toutes tracées des destinées.

Nicolas... dès qu'il courait, qu'il esquissait quelque chose de sa silhouette bancale sans caricature, j'avais les larmes aux yeux. Cela me paraît difficile, et surtout peu judicieux, d'essayer d'expliquer comment la chorégraphie et le danseur parviennent brusquement à faire passer le personnage de la laideur la plus ingrate, de l'expression même de l'ahurissement et de la diminution, à une beauté lumineuse, où toute la candeur et l'espoir transpercent tout à coup l'épaisse couche du handicap et redressent le corps vers l'amour et la lumière.
Le maquillage et la force des traits de Nicolas m'ont donné l'impression d'être près de lui malgré la distance, de le voir en plein. 
Il y a des solos impressionnants, de beaux duos et trios, de la technique, mais c'est surtout un ballet de visages, d'interprétation, comme il y en a peu.
Le corps de ballet a été exceptionnel de synchronisation, d'expressivité, de justesse. Le moment où Quasimodo est passé à tabac par les gardes laisse le spectateur bouleversé.
La grammaire gestuelle si particulière de Roland Petit, étrange, frénétique, saccadée, est ici parfaitement adaptée à la folie joyeuse ou fanatique qui s'empare plusieurs fois de la foule.


Josua Hoffalt, en Frollo, est également hors du commun. Racé, félin, furtif, glaçant, et pourtant humain l'espace d'une seconde.... Son jeu et sa danse étaient plus que parfaits.


En revanche Eleonora Abbagnato, en Esméralada, m'a semblé bien, sans plus. Mais ce sont les rôles masculins qui sont les plus beaux et les plus présents dans ce ballet, à mon avis.
C'est passé beaucoup trop vite. 
Pour finir, Roland Petit a salué aussi, et nous avons tout de même participé à 15 minutes de standing ovation et de paillettes pour Nicolas Le Riche, j'avais les mains brûlées le lendemain ! Les bravos fusaient sans cesse, ce fut un grand moment, une avant-première de la soirée d'adieu.

Il ne me reste qu'à lire le roman de Victor Hugo, que j'ai toujours désiré lire sans en avoir encore jamais pris le temps. Pourtant, je suis déjà certaine que Roland Petit et ses partenaires, ainsi que les danseurs, ont su en restituer la finesse et la beauté. 

Et à retrouver Nicolas Le Riche dans ses prochaines activités, peut-être bien même, entre autres, dans le fameux Jeune homme et la mort, en allant voir son spectacle ITINERANCES, qui passe encore en novembre à Paris.

Photos Anne Deniau sur http://aurelie-dupont.tumblr.com/


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