samedi 6 décembre 2014

Ode à la clémentine

Voici la clémentine, croisement de la mandarine et de l'orange douce. Un hybride de la fin du XIXe, qui prit son nom en hommage à un père Clément. 
 
Dans tous les pays méditerranéens, on peut humer son arbuste, aux feuilles et fleurs très odorantes.
 
Mais un frugivore averti en vaut deux...
 
Chez la clémentine comme chez l'orange, une couleur vive et unie n'est pas du tout synonyme de qualité supérieure, ni de maturité. Les fruits industriels subissent même un "déverdissement" (soupir). Or, il est normal qu'un agrume tire sur le jaune, le vert, et ce de manière irrégulière. 
 
Pourquoi ? Parce que le zeste est riche en chlorophylle et en pigments jaunes et oranges (caroténoïdes) : les chocs thermiques entre nuit fraîche et jour ensoleillé dégradent la chlorophylle et révèlent les autres pigments, différents selon les variétés. Plus l'amplitude thermique entre jour et nuit est élevée, plus l'orange monte. En particulier, les clémentines corses (mes préférées) ont un "cul vert" qui affirme leur identité de fruit naturel proche de la mer et de la montagne. 
 
***
 
  De loin, on dirait une petite planète orange, tout unie, un peu bossue. Ou une baballe. Mais si c'est une belle, une à feuilles, leur vert profond, luisant comme celui d'une plante grasse, forme un magnifique contraste.
     Lorsqu'on approche son nez, on ne sent presque rien. On est déçu. L'écorce (ou péricarpe) est épaisse, un peu grasse, granuleuse. Comme une solide carapace.
    Alors, on se décide à planter son ongle dedans. Il perce le résistant flavedo, puis une peau fine et blanche, l'albedo, rempart plus fragile. Une odeur sucrée, fruitée, aiguë, légèrement amère, voire un peu de jus, s'échappe enfin, dans une vaporisation joyeuse qui atteint parfois jusqu'aux yeux. On sent qu'on est près du but. On a un peu de zeste sous l'ongle du pouce, mais ce n'est pas grave, ça le parfumera. On poursuit avec enthousiasme, en arrachant des lambeaux de plus en plus grands qui prennent de jolies formes. Un soyeux bruit de déchirement les accompagne.
     Là, c'est un fruit tout à fait différent qui s'offre à nous. Il est velouté, marbré de blanc, strié par les rainures de chaque quartier. Par lequel attaquer, comment fracturer le trésor ? On la saisit par le haut, et on se lance, avec espoir : si elle est bonne, c'est facile, ça vient tout seul, les jolies enveloppes translucides se séparent sans protester, en un ultime froissement de peau. On prend ensuite le temps de retirer la colonne centrale. On en détache enfin tout à fait une cuisse, sur laquelle on appuie la pulpe des doigts : on la trouve douce, fraîche, moelleuse et ferme... elle est devenue confiante, et c'est le moment de mordre dedans, à pleines, à belles dents. L'ultime enveloppe (poétiquement nommée loge carpellaire) résiste un peu entre les dents et puis cède : le jus coule, sucré, acidulé, mais pas acide, comme un été dans l'hiver, sans pépins.
  

    Son doux nom tintinnabule (quel joli verbe) et réconforte : après tout, clemens signifie bon, en latin. Tout est clair.

Bonne dégustation. 

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