jeudi 7 juillet 2016

Chefs-d'oeuvres de Budapest : l'expo en détails

Bonjour tout le monde... Comme cela fait longtemps ! Avec un déménagement et bien d'autres rebondissements, j'ai encore laissé le blog en jachère malgré l'envie de publier... Je devrais pouvoir reprendre à un rythme plus soutenu, pendant l'été et même après, grâce à un changement de situation professionnelle.

Bref, une fois n'est pas coutume, je vais réussir à parler d'une exposition avant qu'elle ne se termine... enfin, juste quelques jours avant, puisque vous avez jusqu'au 10 juillet!

Il s'agit de certains "Chefs-d'oeuvres de Budapest", venus nous rendre visite au musée du Luxembourg, pendant que leur demeure principale se refait une beauté.

Certes, l'entrée est chère (12 euros en plein tarif), et l'exposition de taille modeste (une centaine d'oeuvres). J'apprécie toutefois ce dernier point, qui permet de ne pas s'épuiser, de prendre son temps, et de mettre en valeur des oeuvres habituellement noyées dans la masse.

J'ai adoré cette exposition, à commencer parce qu'elle respire tout l'amour de ceux qui ont présidé au choix des oeuvres et de leur disposition (un amour redoublé par celui de la famille Esterhazy, qui a vendu au musée l'ensemble de son immense collection, dont proviennent une bonne partie des oeuvres). Cartels et présentations m'ont paru très bien rédigés, et délivrent l'essentiel. L'éclairage est réussi, bien différencié pour les dessins et les peintures qui se côtoient.

Les pièces choisies balaient les siècles et des artistes très variés, des Hongrois que l'on découvre, et puis de grands maîtres italiens, flamands, allemands, espagnols, français... L'exposition ne prétend donc pas vous en apprendre long sur un sujet précis, mais cherche néanmoins à dépasser le simple alignement de belles oeuvres, en s'organisant autour de plusieurs axes :
  • Avant tout, offrir au public une délectable histoire de l'art européen en raccourci : l'art médiéval religieux d'Europe centrale ; la Renaissance germanique ; le Cinquecento, ou Renaissance italienne, autour du modèle de Vinci ; l'âge d'or hollandais ; la modernité ; le symbolisme ; le tournant du XXe et l'avant-garde hongroise...
  • ... en alternance avec des parties plus thématiques, qui mettent en perspective les époques et les pays, comme cette salle des "Caractères": elle nous rappelle qu'un musée, c'est aussi un lieu de rencontres de hasard avec toutes sortes de personnages (et c'est encore l'occasion de rapprochements inédits, par exemple autour des figures de femmes de Füssli et Goya, Goya et Manet), et que le classement en périodes et mouvements est loin de suffire à épuiser les influences et les échos entre artistes. Les confrontations peuvent se multiplier : femmes au regard perdu, vieillards barbus, hommes aux bouches béantes, peintre et modèle qui semblent se regarder à quelques décennies d'écart...
  • Mettre en valeur la sensibilité hongroise à l'art européen, et les contacts entre les mouvements et artistes magyars et ceux des autres pays, entre inspirations et singularités ;
  • Profiter de l'occasion pour mettre à l'honneur des artistes méconnus, des oeuvres puissantes et rarement vues en France, comme la sculpture de Pisano, ou encore cette crucifixion d'Altdorfer qui met l'accent sur le terrestre, les soldats qui brutalisent les chrétiens, les forcent à regarder ; Boltraffio et son enfant Jésus qui tend les mains vers un objet de désir invisible ; la seule sculpture conservée de Léonard de Vinci ; Karel Dujardin ; etc. ! 
Et puis il y a les perpétuelles redécouvertes, la Maîtresse de Baudelaire par Manet, dont j'ignorais qu'elle se trouvât à Budapest, et cette Estacade de Trouville à marée basse peinte par un Monet âgé de 30 ans : tout y est...
Hormis ce Monet (mais le traitement de Monet, de toute manière, "perd" encore plus que d'autres en photo), j'avais envie, cette fois, de ne pas déflorer les toiles dans leur entièreté, mais plutôt de vous allécher avec des détails à donner envie de voir le reste (même si, parfois, je préfère ledit détail au tableau entier!), et, plus particulièrement, de recréer la saisissante galerie de visages offerte par ces oeuvres, portraits ou non. J'espère que l'idée vous plaira.

Auparavant, je fais une seconde exception, pour l'un des plus célèbres peintres hongrois, pourtant  peu connu en-dehors de son pays, et que j'ai découvert ce jour-là : Mihaly Munkaczy. L'exposition présente plusieurs de ses toiles, mais celle qui m'a fait la plus forte impression, de toutes les oeuvres présentes, c'est
L'Homme à la cape, étude pour le Mont-de-Piété (1874).
La prestance déchue, la mélancolie méditative, l'intensité de l'oeil, la position de la main, la composition... Tout dans ce tableau me touche profondément, et ce d'autant plus que le statut d'étude donne une souplesse particulière au traitement du sujet. On peut voir ICI un croquis de l'ensemble, mais une étude, loin d'être forcément incomplète, et surtout lorsqu'elle est consacrée à un détail, est parfois plus aboutie, plus magique.


Voilà, je passe donc aux "détails" !

Mystérieuse et envoûtante Sainte Dorothée, sculpture sur bois polychrome, Hongrie, 1410-1420

Saint Etienne (saint roi de Hongrie), Hongrie, vers 1500

La partie sur la Renaissance germanique présente quelques ravissants dessins naturalistes de Hans Hoffmann, ses grenouilles dubitatives, sa libellule "déprimée". Un admirateur de Dürer, cet immense dessinateur, probablement le premier à prendre pour sujet principal une touffe d'herbe...
 Albrecht Dürer, Portrait d'un jeune homme, vers 1500-1510
un visage à la dissymétrie attachante et conservée malgré les modes de l'époque

 Bernardino Luini, Vierge à l'enfant, vers 1525
Une douceur en provenance directe du sfumato de Léonard de Vinci

 Deux visages peints par le Greco (ci-dessous, les yeux de sa Madeleine), dont je n'apprécie par ailleurs toujours pas les coloris et la facture d'ensemble...


Karel Dujardin, baroque hollandais italianisant : Tobie et l'ange, vers 1660.

Comparer trois vieillards barbus...
1) Dessin d'un Vieillard de 93 ans de Hoffmann (1580), reprenant un dessin de Dürer du début du siècle,
2) Un Saint-Jérôme de Jacques Blanchard (1632), seule peinture française classique de l'exposition,
3) Etude de tête d'homme de Rubens (1616-1619) : le fait qu'il s'agisse d'une étude donne une liberté étonnamment moderne au trait.



Une Jeune fille endormie (Rome, XVIIe, célèbre, mais toujours pas attribuée...)

 Pierre Puvis de Chavannes, La Madeleine, 1897
L'absence de regard accompagne la démarche d'introspection.

 Janos Vaszary, L'âge d'or, 1902

Franz von Stuck, Le Printemps, 1902
Un tableau symboliste allégorique qui doit beaucoup au romantisme...

D'autres types de détails :

 Devinerez-vous de quelle scène biblique il s'agit ? Il y a un indice en bas à gauche...

 Apparition de Saint Jacques à la bataille de Clavijo, Giambattista Tiepolo, vers 1750

Détail apaisant et bucolique d'une scène biblique alors rarement illustrée :  
Le Prophète Elisée et la Sunamite, de Gerbrand van den Eeckhout (ami et élève de Rembrandt), 1664.

Une Nature morte avec coupe Nautilus (1654) à la technique ébouriffante de Willem Claesz Heda. 
Peu d'émotion, mais beaucoup d'admiration pour ce citron parfaitement épluché...

 Deux détails La Famille des chats de Jan Steen, vers 1673-1675 ; tableau de moraliste, où l'attitude paillarde des chats et des hommes les rend aveugles aux signes de la vanité de leurs vies, comme ce corbeau, le premier que je vois se servir directement au tonneau ! ^^

 Karoly Ferenczy (le grand impressionniste hongrois, bien différent de nos impressionnistes français),  
La Femme peintre, 1903
C'est une femme paysanne qui pose, et le tableau tout entier est un manifeste pour la peinture de plein air.

 Jozsef Rippl-Ronai, Femme à la cage, 1892. 
Inspiration Nabi et symboliste : une peau diaphane, des couleurs intenses et lumineuses.
L'un de ses tableaux vient d'être acquis par le musée d'Orsay.
 Arnold Böcklin, Centaure à la forge du village, 1888
Oeuvre symboliste tirée d'une nouvelle de Paul Heyse, Le Dernier centaure.
Joli contraste entre la cocasserie du sujet et l'effarement des villageois...

Voilà, si vous avez le temps d'y aller, courez-y, je suis loin d'avoir parlé de tout, et notamment de l'une des dernières grandes toiles, drôle et amusante, L'Alouette de Pal Szinyei-Merse (1882) ! Suspense...
Pour en savoir plus (Laurent Salomé est très agréable à écouter) : 

A 1H09, un tableau inouï de Munkacsy, qui n'a finalement pas pu être sélectionné.

Tout cela me donne encore plus envie de visiter Budapest, de découvrir le musée (en travaux pour deux ans), et ses intransportables chefs-d'oeuvres (y compris certains cadres!). Pas vous ?

1 commentaire:

Chloé a dit…

Merci beaucoup pour ce retour d'une expo que je n'aurai finalement pas eu le temps de voir !
Comme ça, j'ai l'impression d'avoir quand même aperçu un peu de belles choses grâce à toi ;)

Et j'aime beaucoup cette nouvelle façon de présenter des détails, des aspects singuliers ou gracieux d'un tableau. Comme il est difficile de prendre un tableau entier, en plus, cela met en valeur certaines oeuvres que, comme tu le dis, on n'aurait pas forcément retenues.
Daniel Arasse ne dit-il pas quelque part que le détail est l'élément qui éclaire le tout ?