samedi 30 décembre 2017

Raymond Depardon à la fondation Cartier-Bresson : "Traverser"

Avant d'aller voir son dernier film Douze jours, j'ai pu voir, à la fondation Cartier-Bresson, l'exposition consacrée à Raymond Depardon. Une traversée dans une carrière de soixante années : près d'une centaine de clichés, enrichie d’extraits de ses notes, de ses réflexions.

Pour écouter l'artiste parler de l'exposition : CLIC

La sélection était organisée autour de deux dialogues emblématiques de son travail, bien que non exhaustifs :

I - Entre "Terre natale" et "Voyage" : la campagne de l'enfance, Paris, et les nombreux pays traversés, en paix ou en guerre, en crise ou en renouveau...

1) Un certain monde rural, fantomatique... : la fameuse "ferme du Garet", la Haute-Loire, Villefranche-sur-Saône, la Lozère...

"A seize ans, j'avais devant moi une de ces fermes merveilleuses comme il n'y en a plus aujourd'hui, et je suis monté à Paris faire la première d'A bout de souffle en négligeant les photos que j'aurais pu faire chez moi. Je me suis rendu compte en regardant le travail de Walker Evans - que j'admire tant - que j'aurais pu faire avec la campagne de mon enfance l'équivalent du travail qu'il a fait avec la dépression des années trente aux Etats-Unis." 








Même si la plupart des clichés sont en noir et blanc, le travail de la couleur était présent, et intéressant :



2) Paris

"Jamais ne s'arrête l'idée d'une photographie, d'une image à faire, la mémoire d'une lumière, la surprise d'un cadre, jamais de repos pour la quête d'un bonheur photographique. Paris c'est un lieu où j'habite, une famille, une base arrière, une retraite pour réfléchir et finir les travaux en cours."





3) Voyages dans l'état du monde

"Je ne veux pas rapprocher des peuples qui n'ont rien à voir ensemble. La seule chose que je veux rapprocher, c'est ma façon de voir." 

"Voyager, et n'être rien du tout
Ni touriste, ni reporter
Ne chercher aucune performance
Ne rien chercher à prouver." 

Tchad, 1978
 Prise de Faya-Largeau par les combattants du Frolinat

Peshawar, Pakistan, 1978

Combattant phalangiste chrétien, Beyrouth, Liban, 1976

Achrafieh, Beyrouth, Liban, 1978

Glasgow, Ecosse, 1980

Mauritanie, 1986

Vietnam, entre Hô-Chi-Minh-Ville et Hanoï, 1992

                                                      Allemagne (ex-RDA), 1990

Alexandrie, 1995

Bolivie, 1997

Jeannette Ayinkamiye (17 ans, rescapée Tutsi, cultivatrice et couturière), Nyamata, Rwanda, 1999 (détail)

Au centre de ces traversées de pays en souffrance et du thème suivant, des réflexions sur la douleur et le photographe qui lui fait face, éternel sujet : 

"Il s'agissait de donner une dimension à la douleur en photographiant un être humain. La douleur du monde était exprimée simplement en photographiant quelqu'un.
Aujourd'hui, cela me gêne un peu. Pour moi, la douleur est aussi dans le cadre, dans le paysage, un coin de porte ou autre chose." 

II - Entre "Douleur" et "Enfermement" : univers de la folie, de la prison, de la justice...

1) Les hôpitaux psychiatriques (italiens) (fin des 70' - début des 80')



Cette part importante du travail de Raymond Depardon a donné lieu à un ouvrage (sur San Clemente) et des réflexions importantes au sujet de son rôle dans un tel contexte. En voici deux extraits :

"j'avais l'impression de continuer à apprendre à photographier l'autre, sans l'agresser [...], apprendre comment bouger devant tant de douleur, comment oser témoigner de la souffrance pour garder des traces afin que l'amnésie ne soit pas totale."

et...

"Un jour je fus surpris de ne plus avoir aucune émotion en faisant mes photos. Je n'avais plus cette fièvre du début, cette distance avec le décor. Je commençais à m'approcher trop, à travailler comme un technicien, à choisir mes cadrages, à attendre la prouesse d'une bonne image. J'étais devenu trop lucide."

Justement, ce qui m'a souvent frappée dans son travail, c'est la juste distance entre l'objectif et le sujet. La plupart des clichés, ceux que j'aime en tout cas, ne sont pas intrusifs. Ils se tiennent en respect, aux deux sens du terme, avec un mélange d'envie de comprendre et d'hésitation. Le cadrage est parfait, mais contient une multitude d'autres cadres parfaits que le photographe nous laisse construire ; les photos invitent l’œil à s'approcher, à franchir le seuil de l'intimité, sans nous y forcer d'emblée.














2) Les tribunaux, les prisons, ...

C'est sous cet angle que j'ai découvert Depardon, lorsque je faisais partie du Genepi (Groupement étudiant national d'enseignement aux personnes incarcérées).

 Tribunal de grande instance de Bobigny
 Préfecture de Paris (Ier arrondissement) (détail)
 Prison de Clairvaux, 1988
Prison de Clairvaux, 1988
Cette dernière photo m'a particulièrement touchée. 

Voilà, Depardon, c'est tout cela et bien plus : allez voir Douze jours, et n'oubliez pas que les vocations, ça commence souvent sur les portes des chambres :) :

à 15 ans...



et que ça ne s'arrête plus jamais !

Une exposition complémentaire se tient à la Bibliothèque Nationale de France : rendez-vous début 2018, et une joyeuse fin d'année à tous !

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