mercredi 22 février 2012

Aimer la pluie

 

 

"Sale temps", "temps pourri", ... souvent, ces expression pleuvent dès le premier matin de pluie, que ce soit à Paris, en Bretagne ou dans le Sud, et quand je fais remarquer qu'il y en avait besoin : "C'est vrai...". Il fait toujours trop froid, trop chaud, trop humide... Réjouissons-nous plutôt de cette belle variété de climats (et donc de paysages) dans notre pays qui, même s'il connaît quelques tempêtes, est plutôt privilégié.

Tous les temps me semblent aimables : la pluie qui berce et celle qui frappe, toutes les pluies qui abreuvent la terre, le vent qui hurle, la brume, la bruine, la brise, la tempête, la canicule, le froid qui saisit et contracte, la neige crissante ou veloutée, les nuages et toutes leurs nuances de gris, les ciels bas et les ciels trop bleus... A chacun.e sa beauté, et si l'on part de ce principe, si l'on s'habille adéquatement pour sortir gaiement, le corps ne s'en trouve pas mal, au contraire, il est vivifié, redynamisé, et voilà rappelé que nous ne sommes pas en sucre, que rien ne sert de vivre enfermé entre clim' et chauffage. 
Mais bien sûr, notre humeur influe aussi sur la manière dont on ressent le temps... On ne supporte pas le soleil par une belle journée de rupture, et on aime la pluie du premier baiser... Rappelle-toi, Barbara.  

La pluie diffère, adoucit, ralentit, et surtout berce. Son bruit sur l'eau, sur les feuilles, sur le zinc, sur le vélux, rend le monde présent, résonnant. L'humidité de l'air donne écho à tout. Et après, après, le beau temps sans doute, mais surtout des ciels lavés et traversés de lumière diffractée, des arcs-en-ciel. Sur le blog sont disséminés quelques-uns que j'ai eu la chance de contempler en Loire-Atlantique, en Irlande, ou encore à Lacanau

Je conseille cet essai, qui distille de belles pensées sur le lien de la pluie à la peinture, à l'éphémère, au repos, au brouillage... et de belles citations, de Brel à ce beau haïku de Chiyo Ni :

L'eau devient cristal,
Les lucioles s'éteignent, 
Rien n'existe.  
 

Lisons Paul Claudel

 Par les deux fenêtres qui sont en face de moi, les deux fenêtres qui sont à ma gauche, et les deux fenêtres qui sont à ma droite, je vois, j’entends d’une oreille et de l’autre tomber immensément la pluie. Je pense qu’il est un quart d’heure après midi : autour de moi, tout est lumière et eau. Je porte ma plume à l’encrier, et jouissant de la sécurité de mon emprisonnement, intérieur, aquatique, tel qu’un insecte dans le milieu d’une bulle d’air, j’écris ce poème.
Ce n’est point de la bruine qui tombe, ce n’est point une pluie languissante et douteuse. La nue attrape de près la terre et descend sur elle serré et bourru, d’une attaque puissante et profonde. Qu’il fait frais, grenouilles, à oublier, dans l’épaisseur de l’herbe mouillée, la mare ! Il n’est pas à craindre que la pluie cesse ; cela est copieux, cela est satisfaisant. Altéré, mes frères, à qui cette très merveilleuse rasade ne suffirait pas. La terre a disparu, la maison baigne, les arbres submergés ruissellent, le fleuve lui-même qui termine mon horizon comme une mer paraît noyé.

 Et Francis Ponge

  La pluie, dans la cour où je la regarde tomber, descend à des allures très diverses. Au centre c'est un fin rideau (ou réseau) discontinu, une chute implacable mais relativement lente de gouttes probablement assez légères, une précipitation sempiternelle sans vigueur, une fraction intense du météore pur. A peu de distance des murs de droite et de gauche tombent avec plus de bruit des gouttes plus lourdes, individuées. Ici elles semblent de la grosseur d'un grain de blé, là d'un pois, ailleurs presque d'une bille. Sur des tringles, sur les accoudoirs de la fenêtre la pluie court horizontalement tandis que sur la face inférieure des mêmes obstacles elle se suspend en berlingots convexes. Selon la surface entière d'un petit toit de zinc que le regard surplombe elle ruisselle en nappe très mince, moirée à cause de courants très variés par les imperceptibles ondulations et bosses de la couverture. De la gouttière attenante où elle coule avec la contention d'un ruisseau creux sans grande pente, elle choit tout à coup en un filet parfaitement vertical, assez grossièrement tressé, jusqu'au sol où elle se brise et rejaillit en aiguillettes brillantes.

    Chacune de ses formes a une allure particulière : il y répond un bruit particulier. Le tout vit avec intensité comme un mécanisme compliqué, aussi précis que hasardeux, comme une horlogerie dont le ressort est la pesanteur d'une masse donnée de vapeur en précipitation.

    La sonnerie au sol des filets verticaux, le glou-glou des gouttières, les minuscules coups de gong se multiplient et résonnent à la fois en un concert sans monotonie, non sans délicatesse.

    Lorsque le ressort s'est détendu, certains rouages quelque temps continuent à fonctionner, de plus en plus ralentis, puis toute la machinerie s'arrête. Alors si le soleil reparaît tout s'efface bientôt, le brillant appareil s'évapore : il a plu.

Giono :

Le jour s’assombrit peu à peu. La pluie commença par n’être qu’une fine mousseline tiède, puis, s’écroula en blocs de plus en plus pesants pendant une quarantaine d’heures ; sans rage ; avec une sorte de paix tranquille. Enfin, il y eut un coup de tonnerre magnifique, c’est-à-dire avec une belle déchirure rouge et tellement retentissant que les oreilles s’en trouvèrent toutes débouchées. Le ciel s’ouvrit. De chaque côté de la fente des châteaux vertigineux de nuages s’étagèrent et le ciel apparut azuré à souhait. À mesure que les châteaux de nuages s’éloignaient l’un de l’autre découvrant de plus en plus du ciel, l’azur vira au bleu de gentiane et tout un ostensoir de rayons de soleil se mit à rouer à la pointe extrême des nuées. 

 

Et puis la pluie, ce sont des souvenirs de cinéma inoubliables : tout Blade Runner, la fin de Diamants sur canapé et d'Amadeus, un adieu sans mots dans Sur la route de Madison, plus récemmment un retour à la maison dans Parasites, et tant d'autres...

Bien sûr, je ne pouvais pas ne pas terminer par une petite potion magique bien connue, qui permet de résister encore et toujours à l'apathie. Gene comme un génie sorti de la lampe, and I'm happy again...  La joie, les jeux enfantins, la dérision légère à l'égard de l'ordre établi, l'aisance du corps, ce timbre... 4' de pur plaisir.

Et bonnes saucées !

2 commentaires:

carlotta a dit…

Joli article , merci !

Donne envie de se replonger dans toutes les belles évocations de la pluie en chanson ou en poésie...

Manon Naïs a dit…

Oui, n'hésite pas à partager quelques idées de titres en commentaire !!