dimanche 31 mai 2015

La toilette : naissance de l'intime - (Monet-Marmottan)

Je suis allée à Paris le week-end dernier, et j'ai pleiiiin d'articles à faire encore, sur Paris (j'ai enfin découvert le cimetière du Père Lachaise!), le pays basque, la routine beauté du moment, de nouvelles tenues et bonnes adresses, des lectures, des films... Tout est là mais le temps me manque, débordée au boulot, en goguette le week-end et un déménagement qui se prépare, pour La Rochelle... Je délaisse le blog et ça me manque, je compte bien me rattraper cette semaine, car j'ai de quoi poster tous les jours pendant un mois ! 

Voici donc un compte-rendu assez complet de l'exposition du musée Monet-Marmottan : "La toilette, naissance de l'intime", que je vous recommande : il y a de nombreuses toiles sublimes à admirer de très près, et on apprend des choses sans se noyer dans les informations.

Les photos étaient interdites, je reproduis simplement quelques toiles retrouvées sur le net ou prises dans le catalogue.

C'est une exposition vraiment instructive et bien organisée, qui présente l'évolution dans la représentation des femmes à la toilette du Moyen-Age à nos jours. 
Comme on s'en doute, l'histoire des sociétés et des pouvoirs influe directement le traitement de ce thème. 
Ainsi, au Moyen-Age et au XVIe, les postures sont fixes et les scènes sublimées, les femmes restent en chemise, et tout geste trivial de nettoiement est banni. 
La toilette est un geste plus social qu'intime, l'espace reste ouvert.
Les audaces sont plus grandes alors en Europe du Nord, où la peinture est moins normée : les scènes sont plus osées, plus naturelles, plus intimes (sous l'influence du caravagisme), à condition de peindre des servantes ou des bourgeoises, et non des nobles !
La fameuse Femme à la puce de George de La Tour, dans le même esprit, mêlant "réalisme" et caravagisme, s'entoure d'un halo de compassion pour les plus modestes, qui, ne se lavant pas et se changeant peu, sont rongées par la vermine. 

On peut également voir deux dessins de Dürer, qui me laisse toujours pantoise d'admiration. Je le classe pour ma part parmi les plus grands dessinateurs de tous les temps, et chaque nouvelle occasion de m'instruire ou de voir des dessins confirme cette impression.

On apprend ensuite que Louis XIII avait pris des édits interdisant les trop grandes dépenses pour les vêtements : peine perdue. Louis XIV avait un terrain tout prêt pour sa politique et n'a pas créé sa cour ex nihilo !

Au XVIIe, on se lave les mains et les pieds, mais toujours pas l'ensemble du corps. L'espace se ferme et les corps se dénudent peu à peu. Le passage du rite social au moment personnel va se poursuivre au XVIIIe. On découvre quelques charmants dessins licencieux, et le fait que la dépilation du sexe avait déjà cours... Je n'en dis pas plus, vous verrez bien ! 

Au XVIIIe, l'eau fait son retour en grâce. L'érotisme est partout, la trivialité entre dans les tableaux, mais rééquilibrée par la beauté des couleurs, des carnations et des vêtements. 

Il y a là quelques très beaux tableaux, comme Le lever de Fanchon de Lépicié :

Et que dire de ce magnifique tableau, que je ne peux reproduire ici, digne d'un Watteau, représentant une ravissante coquette... dont la vanité est rappelée par le pot de chambre dissimulé derrière le miroir...

Nous sommes bien au siècle des Lumières : un dessin de 1780 montre une femme en train de lire pendant qu'on la coiffe, et la légende (se pencher pour les lire!) souligne qu'elle s'intéresse davantage à l'intérieur qu'à l'extérieur de sa tête...

Dans la première partie du  XIXe, la morale, le retour du conservatisme et le goût du sublime font dépérir le thème.
Au contraire, à la fin du XIXe, la conquête de l'eau courante et l'affermissement du réalisme imposent de nouveau ce thème comme un thème de prédilection, avec plus de nudité, des corps plus variés, plus de sensualité et de naturel, des décors parfois encombrés, etc.

J'ai eu un gros coup de coeur pour une toile et un peintre que je ne connaissais pas encore : 
Giacomo Favretto, Après le bain. 
Je vous laisse imaginer la vibration, les couleurs profondes et la sûreté du trait de cette scène magnifique à partir de ce détail de mauvaise qualité, pris en photo sur papier :
Ou comment un maniériste vénitien se rapproche de l'impressionnisme... Je veux en voir plus, et de très près... Après recherche, il y a eu une exposition réservée à Favretto à Venise en 2010... Vivement qu'elle revienne quelque part, j'y courrai (et vivement que je découvre Venise!).

L'affiche de l'exposition est un tableau de Lomont assez original pour la toute fin du XIXe, en raison de son aspect épuré et de son contre-jour. Comme un retour aux sources... mais je le trouve assez maladroit. 

Dans les années trente, le corps prend tous ses droits : le bain, la gymnastique, ... à noter que les premières salles de bain à passage obligé naquirent dans... les maisons closes !

On découvre ensuite combien Degas a fait avancer le traitement de ce thème grâce à la technique du pastel, sensuelle et incarnant si bien la couleur ; grâce aussi à ses innovations en matière de cadrage et de point de vue. 

Autre aspect intéressant : des tableaux de Bonnard représentant Marthe (influencé justement par les pastels de Degas), à comparer avec une photo qu'il a prise d'elle.

On comprend qu'au XXe, le rapport de la femme à sa toilette change, en adéquation avec l'individualisme grandissant et le progrès du confort : ressentir devient aussi important que se laver, on se retrouve autant que l'on se pare pour autrui, on trouve refuge et réflexion dans l'espace nouvellement dédié au soin de soi.

L'ère moderne est en marche. Gromaire, Toulouse-Lautrec... Je ne vous parlerai pas de tout, juste de mes trois préférés !

En 1908, Kupka, influencé par le fauvisme, peint ce Rouge à lèvres de prostituée qui m'a happée un moment, en raison de son mélange dynamique de force (main masculine, cou puissant) et de fragilité dans le regard si présent au sein du masque carnavalesque.


L'on pourra admirer deux Picasso,  un Nu assis se coiffant, et la fameuse Montre (1936) : sur une Dora qui allonge pathétiquement le cou, la montre, comme ajoutée après coup, vient rappeler la vanité de la vie... juste à l'emplacement du sexe. Je trouve ce tableau, ce cou, ces yeux, cette couronne pendante, bouleversants, vraiment.

[en aparté : Dora Maar, écrasée par le maître... Cela vaut la peine de découvrir son oeuvre, injustement méconnue.] 

Enfin, je suis restée marquée par cette Toilette de Wifredo Lam (un peintre cubain que j'ai découvert, qui fut soutenu et présenté aux surréalistes par Picasso), dont les couleurs et la distorsion tragiques permettent sans peine de deviner l'époque (1942).

Pour finir, je ne me lasse jamais, chaque fois que je vais voir une exposition temporaire là-bas, d'aller ensuite dans la galerie permanente afin de m'immerger dans les Bras de Seine, Nymphéas, Rosiers et Glycines de l'ami Monet... Sans oublier ses caricatures de jeunesse, très enlevées ! Ah, ces jeunes, toujours rebelles... 
L'agréable grande galerie, très lumineuse mais sans reflets, permet de profiter pleinement des tableaux, en prenant du recul et en s'asseyant.

Enfin, juste avant la sortie, luit dans l'ombre l'un de mes préférés, avec un banc tout exprès devant lui : le Parlement de Londres... dont aucune photo ne peut rendre le merveilleux miroitement.


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