Il y a deux semaines est brusquement décédé un écrivain dont les Feuillets d'usine m'ont laissé une impression indélébile. Son écriture serrée comme une ligne de production ; ses pensées à la chaîne, peu à peu affranchies du corps une fois que sont trouvés les gestes.
Joseph Ponthus était une intelligence profonde, ferme et nuancée ; un ouvrier, un intellectuel déclassé, passionnant et bon; une plume qui percute à chaque phrase, sans jamais enfouir le fond sous le style.
J'aurais voulu profiter toute une longue vie, la sienne, de lui, de son écriture, qui sans doute aurait continué à le suivre d'un métier à un autre.
Je suis heureuse qu'il ait eu le temps de connaître un succès bien mérité.
« Ce livre porte quand
même sur le sujet le moins sexy du monde, les usines agroalimentaires en
Bretagne, et le fait dans la forme la moins sexy du monde, en vers libres sans
ponctuation. » (dans Le Monde)
- avec la présence intéressante d'une jeune stagiaire, Assa Traoré -
"L'usine a enlevé tout le gras de mes textes".
Et lui a beaucoup appris. Il en parle bien. Au plus concret. "A l'os".
Comment écrire comme on travaille. Comment dire les répits, le marasme et l'indicible ; l'épuisement ; les échanges avec les collègues, parfois tendres, camarades ; parfois effarés devant la dureté raciste et machiste ; et les respirations vitales avec les penseurs, les artistes, d'Apollinaire à Spinoza, de Beckett à Barbara - et la révolte face à la gestion des bras que l'usine achète et broie.
"C'est fantastique tout ce qu'on peut supporter."
Guillaume Apollinaire - exergue d'A la ligne.
L'usine comme guerre contre le temps, la douleur, les chefs, et contre soi-même.
"Je n’écris pas "pour", j’écris "parce que". J’écris,
parce que je dois consigner ce qui m’arrive, je ne vais pas à l’usine
dans une démarche d’écriture, j’y vais pour gagner des sous, parce que
je n’ai pas le choix, sans idée préconçue, juste pour vendre la force de
mes bras. Mais quand on débarque à l’usine, c’est d’une telle violence
et en même temps d’une telle organisation assez fascinante, qu’il a
fallu que je réfléchisse là-dessus, et que j’essaie d’en faire quelque
chose de beau, de manière littéraire, pour ne pas sombrer dans l’enfer
de la machine. Au départ, j’écris pour moi, pour me sauver."
"L’usine m’a révélé à moi-même, je me suis découvert une perfection
plus grande physiquement - j’ai pris des muscles que je ne connaissais
pas - et une force morale inattendue. L’usine a été pour moi la fin de ma
psychanalyse parce que, quand se retrouve pendant huit heures à faire la même tâche, on a le
temps de réfléchir sur soi. Elle m’a permis de découvrir ma propre
vérité."
Un petit hommage avec mes petits moyens : quelques extraits choisis enregistrés.
Joseph Ponthus témoigne aussi à plusieurs reprises dans ce magnifique documentaire, notamment à 53'40 :
De grandes lectures citées dans l'émission ou dans l’œuvre :
- L'Espoir et l'effroi, Xavier Vigna
- L'Etabli, Robert Linhart
- Le Journal d'un manœuvre, Thierry Metz
Joseph Ponthus contribuait aussi régulièrement à la revue
ARTICLE 11,
aujourd'hui arrêtée, mais dont les archives en ligne sont passionnantes,
et d'une qualité rédactionnelle rare.
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