samedi 21 avril 2012

Lettres d'engueulade, Jean-Luc Coudray

Ensuite, un délectable cadeau à savourer, au titre prometteur : Lettres d'engueulade, de Jean-Luc Coudray, aux éditions l'Arbre vengeur.
Délicieux...
Exemples de situations traitées : 
- "un conducteur de quatre-quatre se colle derrière vous" ; 
- "les femmes persistent à rester belles alors que vous avez passé l'âge de les séduire", 
- "une bourgeoise vous regarde des pieds à la tête", 
-  "un chasseur vous engueule", 
- "un homme laisse son chien vous agresser", etc.
 
La syntaxe soutenue et le raisonnement par l'absurde sont réjouissants. 
 
Rien ne vaut un extrait : j'ai choisi pour vous un sujet qui me tient à coeur : "votre maire détruit un beau paysage en construisant des immeubles pour vacanciers" : 
 
" Monsieur le maire ; 
L'art avec lequel vous identifiez les plus beaux sites de votre région pour ensuite les défigurer par des projets immobiliers touristiques montre que vous possédez le sens de la beauté.
Or, pour repérer la beauté, il faut l'aimer. Pour vendre un littoral exceptionnel à des bétonneurs, il faut, au préalable, en avoir goûté la saveur. 
Vous n'êtes donc pas le porc insensible qui piétine un trésor qu'il ne perçoit pas, mais le cynique esthète qui, après avoir reconnu la valeur d'un lieu naturel, pisse dessus pour en retirer un fruit matériel.
En vendant le bien collectif à des particuliers, en réduisant l'universel à un objet monnayable, vous faites le chemin inverse de la civilisation. Car le singe, qui s'est redressé vers l'esprit, avait un autre idéal que le promoteur qui bafoue les rives d'un lac.
Mais je me trompe sans doute. Car le primate n'a pas choisi la station debout pour libérer ses mains. En effet, il pouvait déjà fabriquer des outils assis. La marche bipède lui a permis simplement de transporter des objets, c'est-à-dire de s'approprier les choses que le déplacement quadrupède l'obligeait de laisser à terre. Autrement dit, la source de l'humanisation a bien été le désir de possession...
En détruisant les berges naturelles, vous répétez le geste du quadrumane primitif qui a quitté la vie animale libre de tout attachement, pour la vie humaine sordidement destructrice. 
Vous êtes bien un homme, avec tout ce que cette précision peut avoir de désespérant. Moi, écologiste entêté, je contemple sans toucher, comme n'importe quel animal. 
Et je suis fier de mon animalité qui laisse intacts les bords de l'étang, et j'ai honte de votre humanité qui se distingue de la nature en la rayant d'un coup de ciment. 
Monsieur le maire, quand redeviendrez-vous simiesque, c'est-à-dire poète et respectueux, plutôt qu'humain ; c'est-à-dire loup pour l'environnement* ?
En espérant que vous n'êtes pas fait que de béton, je vous prie de croire, Monsieur le maire, à l'expression de mes sentiments respectueux. "

*(NB : je n'aime pas cette dernière expression, mais référence philosophique - Hobbes - oblige...)




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