Sept albums de planches contact datés, redécouverts après son décès
en 2014,
témoignaient donc des premières années de travail du photographe :
- Ruines, cimetières,
saltimbanques, charognes.
- Picasso, Cocteau, Saint-John Perse.
- Les Gitans.
- Toros (ou plutôt, la corrida,
objet de toutes les passions dans l'Arles d'alors).
- Les premiers nus.
- Fresque cinétique (198 clichés!).
- Langage des sables (série
constituant le corps de la thèse qu'il soutiendra devant
Roland Barthes, et qui sera validée sans appareil textuel ni
théorique).
Les premiers clichés sont ceux
d'un jeune garçon hanté par des souvenirs de guerre
dont les ruines l'environnent (il a dix ans lorsque sa maison est
détruite par un bombardement), par le chagrin de l'orphelin
(sa mère, avec laquelle il vivait seul, meurt après
qu'il l'ait soignée, alors qu'il a 18 ans : persuadée
qu'il sera un grand artiste, elle aura eu le temps, trois ans plus
tôt, de lui offrir son premier appareil...), par des
difficultés financières qui l'ont empêché
de passer le baccalauréat, et pénétré de
l'atmosphère étouffante, voire mortifère, du
marais camarguais. Les corps de flamants roses sont assez poignants.
Décomposition et ruine hantent donc les premiers clichés.
On retrouve également des thèmes
chers aux poètes modernes et aux surréalistes :
- acrobates, saltimbanques,
travestissement, onirisme, avec des clichés d'enfants grimés, peu naturels mais émouvants cependant, comme si l'exhibition du faux leur permettait de laisser transparaître leur profonde mélancolie ;
- mannequins et poupées aux
regards dardés vers d'inquiétants abîmes
L'esthétique graphique et
surréaliste des clichés ne pouvait que séduire Picasso, puis Cocteau, face à un Lucien Clergue confiant et opportuniste (sans connotation péjorative), qui sut sauter sur les occasions, nouer des liens forts et porteurs.
L'exposition retrace donc ensuite les
rencontres avec quelques artistes, et les belles collaborations,
comme celle du tournage du film de Cocteau Le Testament d'Orphée ou ne me demandez pas pourquoi (1960).
Les clichés pris par Clergue rappellent combien Cocteau mérite le surnom de "jardinier d'atmosphère" onirique et surréaliste.Suivre le parcours de Clergue, c'est encore retrouver l'atelier de Picasso, et le célèbre profil à contre-jour de St John Perse.
"Ah! que revienne la présence une
fois apprivoisée, pour s'engager dans l'oeuvre et guider le
poète, qui n'a pas oublié que le beau pays natal est à
reconquérir... !"
Cette citation d'Amers me paraissait particulièrement adaptée au travail de Clergue, qui voyage, s'évade, sans jamais perdre de vue le Sud de la France, région mère de sa fascination pour la nature et l'éternel antique.
Amers, Saint-John Perse
Justement, le goût du tragique et de la
dramatisation lui étant parfois reproché par son
entourage, le jeune Clergue se tourne également vers le nu.
Ses photos, prises dans la nature,
pleines d'élan spontané, sont singulières et
visionnaires à une époque où la plupart des
photographes de nu ont tendance à se « caler »
sur les dessinateurs et à rester dans des compositions
académiques.
Dans la populaire série Née de
la vague, la joie du corps, vigoureux et incarné,
s'associe à celle de la nature. Le visage n'est plus là,
les plans sont rapprochés, le décor gommé :
quête d'atemporalité, sans aucun doute, pour un homme
obsédé par l'envie d'éternité. Comme des
corps de divinités antiques, les modèles se font
sculptures vivantes qui s'égayent dans l'eau.
Cette série ne m'a pas beaucoup touchée, mais elle est intéressante, et importante dans l'histoire de la photographie. L'équilibre délicat entre
composition graphique et vitalité naturelle m'a semblé
particulièrement réussi dans la plupart des clichés,
dont je ne connaissais que les plus célèbres.
La série préfigure peut-être la « révolution
sexuelle » des années 1960-1970, comme le suggère
le commentaire de l'exposition, mais elle exprime surtout la constante recherche, chez Clergue, de l'épure
et de l'atemporalité.
Par ailleurs, comme le rappelle pragmatiquement son
modèle Bicou dans une belle interview filmée, elle
était bien souvent grimaçante à cause des poses
improbables que lui demandait Lucien (on imagine l'inconfort du modèle sur le dernier cliché), mieux valait donc que le visage disparaisse! Elle raconte que le plus
souvent, elle posait un peu le matin ; puis, la lumière
devenue impraticable, ils vivaient là, sur « leur »
plage, toute la journée, elle faisait à manger, se
baignait, bronzait, et Clergue buvait ses mouvements. A la fin de la
journée, il savait exactement ce qu'il voulait, et la
véritable séance pouvait commencer, dans la lumière
de la fin de l'après-midi. Au passage, Bicou / Wally Bourdet offre une saine réflexion sur le métier de modèle.
Connu et reconnu, déjà
collectionné et exposé à New-York, Clergue
réunit, avec son ami d'enfance Jean-Marie Rouquette, un
important fonds photographique (une quarantaine de photographes sont
contactés et donnent des tirages) pour la création du
musée Réattu, le tout premier lieu français
consacré à une collection de photographie
contemporaine. Dans la foulée, avec l'aide de l'écrivain
Michel Tournier, ils créent les fameuses Rencontres d'Arles,
dont j'ai déjà posté quelques compte rendus, ICI ou LA.
Lucien Clergue sera le premier
photographe à entrer à l'Académie des
Beaux-Arts, en 2006 (ouverture de la VIIIe section), comme quoi la
reconnaissance du 8e art ne fait que commencer!
Les photos de corrida sont difficiles à
soutenir, mais, bien qu'il n'y ait probablement pas de dimension
critique dans les clichés, elles ont au moins le mérite
de montrer la souffrance de l'animal et ce qui est fait, après le spectacle, de la
misérable carcasse d'un animal soi-disant admiré et
honoré par de telles pratiques.
La fresque cinétique met en valeur avec force les détails de la campagne provençale. Là encore, beaucoup d'esthétisme, dans la tendance de l'abstraction graphique, et peu d'émotion, comme en une sorte de nouvel académisme.
Même ressenti face à la série « Langage des sables », démonstration parfaite de l'importance de l'art de l'oeil du photographe (eh non, tout le monde ne pourrait pas en faire autant sur une plage...) parvenant à isoler, dans le tout vertigineux du sable, quelques magnifiques séquences visuelles, grâce à la maîtrise du cadrage, des contrastes et des luminosités.
J'ai gardé, vous l'aurez compris, le meilleur (selon moi) pour la fin : Les Gitans.
Au Cannet, aux Saintes Maries de la mer, à l'église, au campement, partout sont le mouvement, la musique, et l'enfance.
Les communautés d'Arles sont saisies dans leur beauté festive et quotidienne, à une époque où personne ne regarde ces pauvres « voleurs de poules » tout juste sortis des camps d'internement de la Seconde Guerre.
Au Cannet, aux Saintes Maries de la mer, à l'église, au campement, partout sont le mouvement, la musique, et l'enfance.
Les communautés d'Arles sont saisies dans leur beauté festive et quotidienne, à une époque où personne ne regarde ces pauvres « voleurs de poules » tout juste sortis des camps d'internement de la Seconde Guerre.
Le regard que Clergue pose
sur ces êtres à part est empreint de tendresse, de
respect, d'admiration et de joie. C'est de très loin l'album
que je préfère, le plus singulier également dans
l'ensemble de son œuvre, et je m'arrête là pour laisser les photos vous envoûter.
C'est d'ailleurs sa fréquentation
de cette communauté qui lui fera rencontrer Manitas de Plata
et José Reyes, ainsi que ses fils, les Gipsy Kings. Amoureux de
cette culture et de cette musique, Clergue présentera et fera
connaître autant que faire se peut les deux générations.
Voilà, je voulais en profiter pour vous parler des clichés de jeunesse de Hans Silvester (et notamment de ses Gitans également), mais au regard de la longueur de l'article, ce sera pour plus tard.
Petite remarque pour terminer : l'éclairage était très mal conçu, aucun cliché ou presque n'était épargné par les reflets, avec des murs entiers où chaque vitre était gâchée par une ou plusieurs ampoules. L'espace n'est pas du tout adapté : l'éclairage par plafonniers très haut placés tombe à pic sur les oeuvres.
1 commentaire:
Merci pour cette belle découverte.
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