dimanche 17 juin 2012

De rouille et d'os : une non critique

Dans ma petite ville de province, une chance : le complexe local, outre les habituelles productions commerciales et/ou familiales, diffuse quelques films subtils grâce à son affiliation aux salles Cinémovida.
Je sais que je veux voir De rouille et d'os, parce que c'est un Jacques Audiard. J'ai donc soigneusement évité de lire les articles consacrés à ce film : ne rien savoir, c'est se laisser la possibilité de la surprise. Le traitement médiatique de certains films est tel que si l'on ne va pas les voir en avant-première, ils gisent rapidement au milieu des débris évaporés de l'attente et du mystère. Quant aux bandes-annonces, plus ça va, plus elles en disent ; ça m'ennuie même d'en voir en début de séance. Trop d'ambiances qui s'enchaînent, je voudrais être tout à mon attente.
Je ne connaissais donc que l'affiche, émouvante, ambiguë, cadrage serré. Le casting : un acteur que je ne connais pas encore, et une actrice dont j'ai envie de voir ce que peut tirer un tel réalisateur : chaque film m'a imprégnée. Sur mes lèvres, De battre mon coeur s'est arrêté, Un Prophète, et bien plus tôt Un héros très discret, film trop peu connu à mon goût...
Et puis une très vague idée du thème : un homme aide une femme handicapée à se reconstruire. C'est tout ce que je sais, ou crois savoir.


Je m'attends tout de même à ce que ce soit bouleversant, d'après les visages, le thème, le succès dont les échos me sont parvenus. Alors, j'y vais comme je préfère : le dimanche en fin de matinée. Il n'y a personne, vraiment personne dans la petite salle perdue aux tréfonds des couloirs et des escaliers. Une dame est là, un peu plus loin, et c'est tout.
Je me sens apaisée : aucun risque de nuisance sonore, et la possibilité de se livrer aux émotions sans interférence. Pas de musique "d'ambiance" dans la salle. Quelques modestes publicités locales. Tout est réuni pour la meilleure des immersions.
 
A la sortie, un battant est poussé, et voilà l'impasse de gravillons, la sortie par la petite porte, comme reléguée aux marges de la société, que l'on réserve aux films confidentiels. C'est logique, c'est même mieux : un petit sas de réadaptation au monde, de transition avant le retour à notre vie, une pause ménagée pour l'adieu mental aux êtres et aux lieux qui existent pleinement pour nous depuis deux heures.
Dimanche midi : usages dominicaux obligent, les rues sont vides. Le temps est tiède, un peu lourd, quelques oiseaux chantent discrètement ; tout est feutré, parfait pour calmer doucement les palpitations, accompagner les émotions bien ancrées, ne pas exposer à des regards intrusifs mon visage nu et bouleversé.
Hélas, la seule personne présente dans la rue m'aborde - un homme, cela va de soi - et me demande, opportunément au regard de l'heure, le jour, ma tenue décontractée, ma démarche encore hésitante et mon regard errant, toujours pris par les images du film :  "Bonjour. Vous êtes occupée ?"
Mais oui, je suis occupée. C'est bien le mot. Il me faut parfois plusieurs heures pour émerger vraiment d'un beau film. Il m'est arrivé de rester assise et muette, à une terrasse ou sur un banc, pendant deux heures. (Pour savoir quels films, voir 

Du film lui-même, que dire ? C'est puissant. C'est magistralement interprété. C'est filmé avec une intelligence et une subtilité rares.Voyez-le.

Je ne dis rien de plus, vous pourriez me lire et ne pas l'avoir vu, et avoir envie d'y aller. Je ne peux que vous conseiller d'écouter cette envie. Surtout un dimanche matin.

3 commentaires:

Kroko a dit…

je n'irai pas le voir. Non pas que je doute qu'il soit magistral. mais je suis trop cassée moi même pour le moment pour assumer une telle charge émotionnelle.

Manon Naïs a dit…

Je comprends, j'ai failli me dire la même chose, mais... c'est aussi un message d'espoir, et quelque part, ça permet de s'oublier totalement un certain temps. Et puis il y a des films que je veux voir au cinéma et pas autrement, alors j'écoute mon instinct! Mais c'est sûr qu'il vaut mieux ne pas se forcer.

Kroko a dit…

je suis plus sur les films légers en ce moment ... peut être un jour j'aurais la force ... (comme le jour où j'ai décidé de regarder million dollar baby. bon ben j'avais bien fait de pas y aller quand je le sentais pas)