samedi 12 janvier 2019

Martine Franck ou l’œil qui s'oublie

Newcastle, 1978

A l'occasion du déménagement de la fondation Henri Cartier-Bresson, enfin une rétrospective consacrée à Martine Franck : l'épouse belge talentueuse, cofondatrice de l'agence Viva et membre des agences Vu et Magnum, reconnue mais restée dans l'ombre de son mari, n'avait encore jamais fait l'objet d'une exposition dans sa propre "maison".
Elle a pu, avant son décès survenu en 2012, concevoir en partie l'exposition.
Une centaine de tirages (sur les 25 000 archivés) pour découvrir son travail.

Elégance intemporelle et mains immenses, timide mais audacieuse et engagée, elle cultive l'art de la simplicité, voire de la pudeur, quel que soit le sujet.


"La photographie est venue comme substitut, j’ai souffert d’être timide. Tenir un appareil m’a donné une fonction, une raison d’être quelque part, comme témoin, non comme actrice."

 Festival Riviera 76, Le Castellet

 Nîmes

au Brusc, piscine de l'architecte Capeillères

Elle a une manière douce et discrète de saisir les personnes âgées, qu'elle soient anonymes, par son travail avec les Petits frères des pauvres...



... ou célèbres (et que serait un artiste sans son chat ?)

 Le peintre Balthus et son chat Mitsuko

Giacometti chez lui avec son chat, 1985

« Quand vous êtes en contact avec des êtres humains pour les photographier, je pense que c’est très important d’être en mesure de vous oublier et écouter ce que les autres ont à dire. »

Foyer de l'Armée du Salut, New York, 1979

«Tout ne se photographie pas. Il y a des moments où la souffrance, la déchéance humaine vous étreignent et vous arrêtent… La photographie montre plus qu’elle ne démontre, elle n’explique pas le pourquoi des choses.» 

Martine Franck a aussi su saisir l'esprit de manifestations de tous bords...


 New York, 1974

 grève de l'usine Renault

 funérailles de Charles de Gaulle

"L'appareil est en lui-même une frontière, passer de l'autre côté, on ne peut y parvenir qu'en s'oubliant soi-même, momentanément."

manifestation de soutien au général de Gaulle, 1968

"C'est nécessaire d'être contestataire pour faire de la photo. Il ne faut pas tout accepter. Il faut avoir sa propre opinion, aller à la découverte soi-même. Photographier, c'est témoigner... et se révéler beaucoup."

Elle sait expliquer simplement pourquoi elle continua à privilégier le noir et blanc :
"Il y a une certaine transposition dans le noir et blanc. On peut aller ailleurs. Ce n'est pas trop réel. On est pas trop confronté aux couleurs criardes.  Quand on photographie quelqu'un, on ne peut pas toujours demander qu'il soit habillé de telle ou telle façon. Ce n'est pas toujours très heureux alors qu'en noir et blanc, cela n'a aucune importance. Il y a des rapports entre les gris, les noirs et les blancs et c'est toujours harmonieux.  On se concentre plus sur l'expression, sur la composition."

Les photos de Tory (ou Toraigh) Island, une petite île perdue au nord de l'Irlande, prises en 1995, sont magnifiques.




Les photos d'enfants de milieux populaires et pauvres, au Royaume-Uni, en Irlande et aux Etats-Unis (pays où elle a elle-même passé son enfance en "exil doré" suite à l'occupation allemande), sont sans fard, émouvantes et pleines d'énergie.

" Je commence toujours par photographier les enfants parce que ce sont les enfants qui vous amènent vers les parents. Et souvent, c'est la meilleure façon de rentrer en contact avec les gens. Ce que je cherche, c'est l'échange de regards. Avec les enfants, c'est la spontanéité."

 Darndale, près de Dublin, 1993
 Cimetière de voitures volées, Dardndale, près de Dublin, 1993

 Ballymun, Irlande, 1993
 les Eames, famille de pêcheurs, Amagansett, USA, 1983
Carnaval du club des travailleurs, Skinningrove, Royaume-Uni, 1978

C'est à l'occasion d'un voyage en Orient, avec Ariane Mnouchkine, à 25 ans, qu'elle se met à la photographie. Elle vient de renoncer à devenir doctorante (l'influence du cubisme sur la sculpture) à l'Ecole du Louvre :
"Cela m'a paru tellement pénible d'écrire  sur l'art, alors que j'aime tellement la peinture et la sculpture, que je suis partie en Chine avec le Transsibérien". 
Elle se passionnera pour la cause tibétaine ; certaines de ses photos prises lors de séjours dans des monastères sont célèbres.

Tulku Khentrul Lodro Rabsel, 12 ans, avec son tuteur Lhagyel, monastère Shechen

Kyoto

Kidekcha, Russie

Voilà, Martine Franck, c'est tout ça, sans parler de sa longue collaboration avec le Théâtre du Soleil.

La fondation qu'elle a créée avec son mari et sa fille promet de nous offrir, dans les nouveaux locaux du Marais, des expositions qui gagnent à être vues.

Bibliographie sélective :

2010 : Women, Femmes. Texte de Richard Collasse. Editions Steidl / Chanel, Gottingen
2000 : Martine Franck, photographies. Texte d’Ariane Mnouchkine. Editions Claude Bernard, Paris
1998 : « Martine Franck : D’un jour, l’autre ». Entretien avec John Berger. Maison Européenne de la Photo/Editions du Seuil, Paris
1998 Ile aux confins de l’Europe. Editions Bentelli, Berne
1988 : De temps en temps. Préface de Claude Roy. Texte de Michel Christolhomme. Les petits frères des Pauvres, Paris
1980 : Martine Franck. Le Temps de Vieillir. Collection journal d’un voyage. Introduction de Robert Doisneau. Denoël-Filipacchi, Paris

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