dimanche 1 mars 2020

La Mouzaïa en hiver (Paris XIXe)


Dans le nord du XIXe arrondissement, entre les immeubles sans grâce du boulevard Sérurier, de la Place des Fêtes et de la rue des Lilas, le quartier de la Mouzaïa détone, avec ses petites maisons et jardinets accolés le long de ruelles appelées "villas". 

Souvent méconnu des parisiens eux-mêmes, il est l'une des premières promenades que je suggère à Paris, d'autant qu'il se trouve dans le prolongement direct du parc des Buttes-Chaumont, qui vaut lui aussi d'être vu.

Etroites rues pavées en pente, jardins à l'anglaise, couleurs vives et détails inattendus : tout y est charmant, en toute saison. Si la fin du printemps reste le meilleur moyen d'admirer le travail des mains vertes du quartier, j'ai un gros faible pour la lumière de l'hiver, comme ce matin de début février.

Se promener (des heures...) à la Mouzaïa, c'est voyager dans le temps. Les 250 maisons environ, construites à partir de 1880, sont restées là, miraculeusement préservées, d'abord grâce à la fragilité du sous-sol miné de galeries, puis grâce au classement du quartier comme "site pittoresque de la ville" en 1976. L'ambiance en est devenue cinématographique (il y a d'ailleurs une école de cinéma tout à côté).

Chaque rue, chaque villa est dotée de son charme propre ; il faudrait marcher à la fois le nez en l'air et les yeux rivés à l'autre côté des grilles... Je conseille donc de se laisser aller à un itinéraire en zig-zag aller et retour, car les perspectives changent selon qu'on les aborde par en haut ou par en bas, et puis bien sûr, on voit chaque fois de nouvelles choses.

Le nom "Mouzaïa", celui de la rue principale autour de laquelle se déploient les villas, fait référence, hélas, à une bataille de la colonisation de l'Algérie ; on appelle aussi ce quartier "quartier d'Amérique" : vous découvrirez pourquoi sur place, si vous lisez les petites bornes touristiques...

Puisque la gentrification galope au nord de Paris, on ne s'étonnera pas outre mesure d'apprendre que ces maisons, qui dépassent pour la plupart le million à la vente, avaient été construites à destination des ouvriers. 

Subsiste d'ailleurs, au 5 rue de la Fraternité, la façade de "L'Oeuvre La bouchée de pain", une association fondée par Bourreiff, et sur laquelle il est intéressant de se renseigner ici : clic

 

Le terrain (qui faisait partie des communes de Belleville et de La Villette, annexées à celle de Paris en 1860) abritait des carrières de gypse (une pierre à plâtre d'excellente qualité, qui a notamment contribué à tous les beaux plafonds à moulures de Paris), mises à l'arrêt en 1860. On y installe ensuite un marché aux chevaux qui périclite rapidement. La ville décide finalement d'assainir et de lotir à bas prix à des investisseurs privés, afin d'offrir des solutions de logement décentes aux classes modestes : des "habitations à bon marché" (HBM, loi de 1889). Il était prévu qu'elles soient vendues avec des prêts très longue durée et un apport minimal, afin de permettre aux ouvriers d'accéder à la propriété. Elles leur seront finalement louées... 

Le promoteur et architecte Fouquiau saute sur l'occasion et investit, avec l'appui de prêts immobiliers publics. Ses plans suivent les idées hygiénistes et doivent tenir compte d'une contrainte majeure : le sol, véritable gruyère sur plusieurs dizaines de mètres de profondeur, ne peut soutenir que des habitations légères (un étage maximum). En 1898, la première villa Fouquiau est terminée. 30 maisons, toutes conçues sur le même modèle : petite porte d'entrée dotée d'une marquise, entresol, rez-de-chaussée, chambre à l'étage, jardinet devant et courette arrière avec sanitaires. Les matériaux : brique rouge, pierre et meulière. Aujourd'hui, la plupart des maisonnettes sont crépies de coloris pastel ou plus vifs, donnant au tout un aspect joyeux et dépaysant à Paris ! 

Les touches de brique demeurent aussi, et les habitants font de toute évidence un petit concours de la main la plus verte, offrant des beautés végétales même en hiver : rosiers précoces, jasmins, mimosas, etc.  



 

En 1900, le quartier héberge un membre de la bande à Bonnot ; en 1924 s'y installe une usine de machines à coudre. S'ajoutent alors des maisons plus cossues, louées à des employés : d'abord le hameau du Danube, en 1924. Acessible avec l'accord d'un habitant au 46 rue du Général Brunet, il s'agit d'un ensemble de 28 pavillons en boucle, conçu par les architectes Albenque et Gonnot, et qui remportera le concours des façades de Paris en 1926. Dans le même temps, l'architecte Arfvidson supervise, du 3 au 7 rue de la Prévoyance, la construction de logements sociaux et d'ateliers d'artiste. En 1925, Eugène Dabit, auteur de L'Hôtel du Nord, fait construire sa maison rue Paul-de-Kock.

Les constructions se poursuivent et se diversifient par la suite ; de l'art déco au brutalisme, cela vaut la peine de s'offrir une visite guidée avec une personne du quartier et/ou un spécialiste de l'architecture.

Les villas sont éclairées par des lampadaires modèle Oudry, bien connus des parisiens, avec leur mât décoré de lierre.

Je termine sur un élément particulier qui m'a enchantée : la manière dont on laisse la végétation prendre ses droits sur le mobilier urbain, les grilles et les portails, ainsi que le soin porté à d'impressionnantes glycines d'un âge canonique. Voici donc, pour finir, quelques exemples de ces plantes qui semblent réincarner les habitants d'autrefois face aux impassibles maisons désormais bourgeoises, qui les acceptent de bonne grâce, conscientes sans doute du supplément de vie qu'apporte le désordre... 

 
 
A voir également (je n'ai pas pris de photos), l'église Saint-François-d'Assise au 9 rue de la Mouzaïa. Construitr de 1914 à 1926 sous la direction des frères Courcoux, elle présente un intérieur à la fois sobre et intéressant par ses multiples influences. 
 
Quartier excentré, sans autre attrait touristique que lui-même, la Mouzaïa reste relativement peu fréquentée, surtout en semaine et hors été. Ici ont élu domicile une élite plutôt artiste (créateurs, comédiens, éditeurs, ...) et quelques chanceux héritiers d'une lointaine acquisition familiale, tous du genre discret. N'oubliez donc pas de vous faire petit.e en prenant des photos, par respect pour les habitants (vous en croiserez cela dit moins que de chats...).

La Mouzaïa est un quartier résidentiel, presque dépourvu de commerces. Néanmoins, voici deux adresses à ne pas manquer pour le boire et le manger : 

- Al Forno, 29, rue du Général Brunet. Un des plus chouettes traiteurs italiens de cette partie de Paris. 

- Café parisien, 2, place de Rhin-et-Danube. Le bistro parfait, pour le café, le déjeuner, le demi. Chouette déco, bonne formule déjeuner, terrasse.

Bonnes balades !

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