dimanche 14 mars 2021

Joseph Ponthus - A la ligne / Feuillets d'usine

Il y a deux semaines est brusquement décédé un écrivain dont les Feuillets d'usine m'ont laissé une impression indélébile. Son écriture serrée comme une ligne de production ; ses pensées à la chaîne, peu à peu affranchies du corps une fois que sont trouvés les gestes. 


Joseph Ponthus était une intelligence profonde, ferme et nuancée ; un ouvrier, un intellectuel déclassé, passionnant et bon; une plume qui percute à chaque phrase, sans jamais enfouir le fond sous le style.

J'aurais voulu profiter toute une longue vie, la sienne, de lui, de son écriture, qui sans doute aurait continué à le suivre d'un métier à un autre.

Je suis heureuse qu'il ait eu le temps de connaître un succès bien mérité.

« Ce livre porte quand même sur le sujet le moins sexy du monde, les usines agroalimentaires en Bretagne, et le fait dans la forme la moins sexy du monde, en vers libres sans ponctuation. » (dans Le Monde)

- avec la présence intéressante d'une jeune stagiaire, Assa Traoré - 

"L'usine a enlevé tout le gras de mes textes". 
Et lui a beaucoup appris. Il en parle bien. Au plus concret. "A l'os".
Comment écrire comme on travaille. Comment dire les répits, le marasme et l'indicible ; l'épuisement ; les échanges avec les collègues, parfois tendres, camarades ; parfois effarés devant la dureté raciste et machiste ; et les respirations vitales avec les penseurs, les artistes, d'Apollinaire à Spinoza, de Beckett à Barbara - et la révolte face à la gestion des bras que l'usine achète et broie. 
 
"C'est fantastique tout ce qu'on peut supporter." 
Guillaume Apollinaire - exergue d'A la ligne.
 
L'usine comme guerre contre le temps, la douleur, les chefs, et contre soi-même.
 
"Je n’écris pas "pour", j’écris "parce que". J’écris, parce que je dois consigner ce qui m’arrive, je ne vais pas à l’usine dans une démarche d’écriture, j’y vais pour gagner des sous, parce que je n’ai pas le choix, sans idée préconçue, juste pour vendre la force de mes bras. Mais quand on débarque à l’usine, c’est d’une telle violence  et en même temps d’une telle organisation assez fascinante, qu’il a fallu que je réfléchisse là-dessus, et que j’essaie d’en faire quelque chose de beau, de manière littéraire, pour ne pas sombrer dans l’enfer de la machine. Au départ, j’écris pour moi, pour me sauver."
 
"L’usine m’a révélé à moi-même, je me suis découvert une perfection plus grande physiquement - j’ai pris des muscles que je ne connaissais pas - et une force morale inattendue. L’usine a été pour moi la fin de ma psychanalyse parce que, quand se retrouve pendant huit heures à faire la même tâche, on a le temps de réfléchir sur soi. Elle m’a permis de découvrir ma propre vérité."
 
Un petit hommage avec mes petits moyens : quelques extraits choisis enregistrés. 
 
 
 
 
Joseph Ponthus témoigne aussi à plusieurs reprises dans ce magnifique documentaire, notamment à 53'40 :
 
De grandes lectures citées dans l'émission ou dans l’œuvre : 

- L'Espoir et l'effroi, Xavier Vigna 
- L'Etabli, Robert Linhart 
- Le Journal d'un manœuvre, Thierry Metz

Un autre ouvrage auquel Joseph Ponthus a contribué, issu de ses années de travail social, que l'on peut commander à sa librairie, ou lire en ligne, et aussi découvrir par cette super émission de radio, épisode des Oreilles loin du front", où il est invité avec ses jeunes camarades co-auteurs. Vraiment magnifique à écouter.
 
 
Joseph Ponthus contribuait aussi régulièrement à la revue ARTICLE 11, aujourd'hui arrêtée, mais dont les archives en ligne sont passionnantes, et d'une qualité rédactionnelle rare. 

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